Harry Browne et le secret d’un portefeuille résistant à toute épreuve
Depuis toujours, les investisseurs cherchent une solution simple pour traverser les tempêtes des marchés financiers. Comment protéger son épargne face aux crises, tout en continuant à profiter des périodes de prospérité ? Cette question, universelle et intemporelle, a conduit à l’émergence de nombreuses stratégies d’investissement. Parmi elles, une se distingue par sa promesse : offrir un portefeuille robuste, accessible et capable de résister à presque toutes les situations économiques.
Derrière cette idée se cache le célèbre Harry Browne, investisseur et auteur américain. C’est le pionnier d’une approche que beaucoup considèrent comme révolutionnaire par sa simplicité. Son concept, appelé « portefeuille permanent », repose sur une idée très simple : bâtir une allocation qui fonctionne quelles que soient les conditions économiques. Qu’il s’agisse d’une forte croissance, d’une période d’inflation, de récession ou même de déflation. Pour Harry, la clé n’était pas de prévoir, mais de se préparer à tous les scénarios.
Origine et philosophie du portefeuille permanent
Harry Browne, actif dans les années 70 et 80, avait compris que la plupart des investisseurs perdaient non pas à cause d’un mauvais choix d’actions, mais à cause d’une incapacité à anticiper les cycles économiques. Il a alors formulé une idée simple : au lieu de courir après la prédiction parfaite, mieux vaut créer un portefeuille capable d’affronter toutes les configurations possibles.
Son objectif était double : d’une part, assurer la sécurité financière de l’investisseur, et d’autre part, lui offrir une sérénité psychologique. En d’autres termes, éviter au maximum les émotions liées aux fluctuations incessantes du marché. Pour cela, il a identifié quatre grands mouvements économiques récurrents : la croissance, l’inflation, la déflation et la récession. Selon lui, si un portefeuille pouvait être calibré pour chacune de ces phases, alors il serait « permanent » et donc capable de résister à tout.
La composition du portefeuille permanent
Une allocation simple, mais redoutablement équilibrée
L’essence même de cette stratégie repose sur une allocation équilibrée en quatre parts égales, chacune à hauteur de 25 %.
- Les actions représentent la croissance économique, car elles profitent naturellement des périodes d’expansion.
- Les obligations à long terme jouent le rôle de couverture en phase de récession ou de baisse des taux, car leur prix évolue généralement en sens inverse de ces paramètres.
- L’or agit comme un rempart contre l’inflation et les chocs systémiques.
- Le cash (souvent négligé par les investisseurs) apporte une stabilité immédiate, une réserve de sécurité et une flexibilité précieuse pour saisir les opportunités.
La force du portefeuille : la complémentarité des actifs
Allocation équilibrée en quatre parts égales dans un portefeuille d'investissement
Ce qui fait la force de cette répartition, c’est son équilibre. Quand une classe d’actifs souffre, une autre prend généralement le relais. Ainsi, lors de l’inflation des années 70, l’or a protégé le portefeuille. Lors des crises déflationnistes, comme celle de 2008, les obligations long terme ont amorti le choc. Bien sûr, cette approche a ses limites : elle ne cherche pas à maximiser la performance en période de bull market sur les actions. Cependant elle réduit considérablement la volatilité et les pertes massives.
Comment reproduire le portefeuille permanent avec des ETF ?
Les actions : la locomotive du portefeuille
La composante actions représente la moteur de croissance du portefeuille permanent. Elle permet notamment de capter la performance économique mondiale lors des phases d’expansion. Cette phase a lieu quand les entreprises augmentent leurs bénéfices et que les marchés boursiers progressent.
L’idée n’est pas ici de faire du stock-picking ou de chercher le prochain “coup boursier”, mais plutôt de détenir l’économie mondiale dans son ensemble. Pour cela, les ETF indiciels constituent la solution la plus simple et la plus efficace.
Deux choix principaux se démarquent :
- L’ETF MSCI World, qui regroupe plus de 1 400 entreprises des pays développés (États-Unis, Europe, Japon, etc.). Il offre une exposition très large, mais reste fortement pondéré vers les grandes capitalisations américaines comme Apple, Microsoft ou Nvidia.
- L’ETF S&P 500, plus concentré sur le marché américain, souvent considéré comme le cœur de la croissance mondiale. Son avantage : une grande liquidité, des frais très faibles, et un historique de performance solide sur le long terme.
Les obligations : une composante plus complexe
La partie obligations est un peu plus délicate, surtout en Europe, où l’offre en obligations très long terme est plus limitée. Aux États-Unis, un ETF comme le iShares 20+ Year Treasury Bond (TLT) est souvent utilisé. En zone euro, on peut se tourner vers des ETF obligataires gouvernementaux de maturité 15 ans et plus, même si l’exposition n’est pas aussi pure que dans le modèle américain.
L’or : la valeur refuge du portefeuille
L’or peut être introduit facilement via des ETC comme le Gold Shares (GLD) ou d’autres produits d’Amundi, physiquement adossés à de l’or stocké dans des coffres. Ces produits suivent directement le prix de l’or et offrent une liquidité immédiate.
Le cash : la stabilité et la flexibilité
Enfin, la composante cash peut être représentée par un simple fonds monétaire ou par des placements très sécurisés comme un compte épargne rémunéré, ou encore des ETF monétaires liés à l’Euribor. Le but n’est pas de générer du rendement avec cette poche, mais d’assurer la sécurité et de conserver des munitions disponibles.
Performances historiques et backtests
D’un point de vue historique, le portefeuille permanent a montré une résilience impressionnante. Par exemple, lors du krach de 2000, alors que les actions technologiques s’effondraient, l’or et les obligations à long terme ont permis de limiter les pertes. En 2008, au cœur de la crise financière, l’allocation a mieux résisté que la plupart des autres portefeuilles traditionnels. Plus récemment, en 2020, au moment de la crise du COVID, la présence de l’or et des obligations a permis au portefeuille d’être bien plus résilient que le marché.
Les backtests montrent que, même si ce portefeuille ne surperforme pas un portefeuille composé à 100 % d’actions sur le long terme, il offre un bien meilleur rapport rendement/risque. Le rendement annualisé reste correct, mais surtout, les drawdowns — c’est-à-dire les pertes maximales — sont largement contenus. Pour un investisseur qui recherche la tranquillité plutôt qu’une performance explosive, cet aspect est déterminant.
Performance du portefeuille permanent Harry Browne - Source : Investing Lazy
Les avantages du portefeuille permanent
Le plus gros avantage de ce portefeuille, c’est sa simplicité : quatre classes d’actifs, pondérées à égalité, sans arbitrages complexes. C’est une stratégie qui s’adresse aussi bien aux investisseurs débutants, qui souhaitent une solution simple et actionnable, qu’à ceux qui recherchent une base solide pour construire leur patrimoine.
Cette approche offre également une diversification maximale : en intégrant des actifs qui réagissent différemment selon les contextes économiques, elle limite la dépendance à une seule tendance. Enfin, elle réduit le stress psychologique, car l’investisseur sait que, quoi qu’il arrive, une partie de son portefeuille est protégée.
Les limites et critiques du portefeuille permanent
Une sous-performance en période de marché haussier
La plus évidente concerne sa sous-performance lors des périodes de marché haussier. Quand les actions enchaînent plusieurs années de forte progression. Ce fut le cas dans les années 2010 ou après le COVID, le fait de n’avoir que 25 % d’actions dans son allocation peut sembler frustrant. On peut avoir le sentiment de rater une partie importante du potentiel de rendement.
Une allocation figée et parfois décalée du contexte économique
Une autre critique souvent formulée concerne son allocation figée. Répartir systématiquement 25 % sur chaque classe d’actifs est rassurant, mais cela manque de flexibilité. Dans un environnement de taux très bas, par exemple, détenir 25 % d’obligations à long terme peut paraître peu pertinent. Leur rendement réel est limité et leur sensibilité à une remontée des taux est élevée. De plus, pour les investisseurs européens, la mise en pratique est compliquée. L’offre d’ETF obligataires de très longue maturité est réduite, ce qui oblige à utiliser des produits de substitution, altérant ainsi l’esprit du portefeuille de Browne.
Un modèle historique à adapter au monde moderne
Enfin, il faut noter que ce modèle commence à dater. Il ignore certains actifs qui occupent aujourd’hui une place centrale dans l’économie et dans les portefeuilles institutionnels, comme les REITs, les marchés émergents ou encore les cryptomonnaies. C’est une base solide, mais pas définitive : à mon sens, elle doit être réadaptée avec des produits actuels pour rester pleinement pertinent
Variantes et adaptations modernes
Face à ces limites, plusieurs variantes ont vu le jour. Le Golden Butterfly Portfolio, par exemple, ajoute une dose supplémentaire d’actions pour dynamiser le rendement, tout en gardant une logique de robustesse. Le All Weather Portfolio de Ray Dalio reprend la même philosophie, mais avec une allocation plus complexe, intégrant davantage de classes d’actifs. Pour les investisseurs européens, il est également possible d’adapter le modèle en tenant compte de la fiscalité locale, notamment avec l’utilisation du PEA pour les ETF éligibles.
Comment mettre en place le portefeuille permanent en pratique
Aujourd’hui, mettre en place ce portefeuille est relativement simple : il suffit de sélectionner les bons ETF, de les répartir selon les pondérations prévues, puis de les rééquilibrer une à deux fois par an. Ce rééquilibrage permet de vendre ce qui a trop monté et de racheter ce qui a baissé, une mécanique qui oblige à rester discipliné et à suivre sa stratégie d’investissement.
Il est néanmoins essentiel de rester attentif aux frais, car les ETF ont des coûts de gestion variables. Mieux vaut également diversifier ses émetteurs — Amundi, Lyxor, iShares, etc. — afin de réduire le risque spécifique. Enfin, il faut prendre en compte la fiscalité, notamment sur l’or et les obligations, qui peut varier selon les pays.
Conclusion
Vous l’avez compris, le portefeuille permanent de Harry Browne n’est pas une solution miracle qui vous rendra riche du jour au lendemain. Il incarne cependant une philosophie d’investissement intelligente : celle de la robustesse et de la tranquillité d’esprit.
Pour les investisseurs qui recherchent un portefeuille automatique, diversifié et facile à gérer, c’est probablement l’un des meilleurs choix. Sa performance brute n’est peut-être pas spectaculaire, mais son rapport rendement/risque est difficile à battre. Et dans un monde où l’incertitude domine, disposer d’un portefeuille capable de résister à tout reste un atout inestimable.